Le
mystère de l'abbé Loisy
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[Le texte qui suit est constitué d'extraits de l'œuvre autobiographique
d'Alfred Loisy reprise plusieurs fois et à des moments différents de
sa vie : d'abord dans Choses passées, Paris, Émile Nourry, 1913
; puis dans les trois gros volumes des Mémoires pour servir à l'histoire
religieuse de notre temps (1857-1927), Paris, É. Nourry, 1930-1931
enfin dans une notice publiée par Émile Poulat dans Critique et
mystique. Autour de Loisy ou la conscience catholique et l'esprit
moderne, Paris, Le Centurion, 1984. Ce montage a été établi par Pierre-E.
Leroy, maître de conférences au Collège de France et président de l'association.
Il l'a lu en public, le 3 octobre 2003, à la chapelle de la Maison Saint-Joseph,
à Châlons-en-Champagne, lors du colloque organisé par l'Association
et intitulé : Histoire et vérité : Loisy à l'épreuve du temps
; cette lecture était entrecoupée de morceaux musicaux interprétés par
l'ensemble Polyfolia de Châlons]
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1- Jusqu'au sacerdoce |
La Marne,
en sortant de Saint-Dizier, s'infléchit légèrement vers le sud et vient
longer le pied des coteaux boisés ou plantés de vignes qui dominent
de ce côté le fertile Perthois. Elle passe devant l'antique chapelle
de Saint-Aubin, un saint à pèlerinages, et qui fait encore quelquefois
des miracles ; puis c'est, en avançant à l'ouest, le petit clocher de
la Neuville-au-pont, moins haut que les arbres qui l'entourent ; plus
loin, la vieille église d'Ambrières, qu'on dirait prête à tomber de
l'escarpement où elle se dresse, veuve de ses nefs latérales, dépourvue
de clocher, avec son portail mutilé comme si la hache y avait passé.
Après un crochet vers le bourg de Perthes, la rivière paresseuse se
rapproche des hauteurs, au-dessous de l'ancienne abbaye de Haute-Fontaine,
et bientôt, la barrière de colline disparaissant, elle s'avance lentement
à travers les plaines unies de la Champagne. C'est à Ambrières que je
suis né. Ma maison natale est la dernière du village, un peu à l'écart,
faisant pendant à l'église, du côté de Haute-Fontaine, avec une vue
très agréable sur le cours sinueux de la Marne et sur les villages de
la vallée. Mes ancêtres ont vécu là depuis les premières années du siècle
dernier. Ils étaient cultivateurs, de père en fils. Au moins depuis
le commencement du XVIIIe siècle, les Loisy étaient fermiers des moines
de Haute-Fontaine, et leur clan prolifique avait essaimé dans les hameaux
d'alentour. Les moines partis, mon arrière-grand'père n'avait pu s'entendre
avec l'acheteur de biens nationaux qui les avait remplacés, et il était
venu s'établir à Ambrières. Il ne semble pas que la souplesse de caractère
ait jamais été le trait dominant de la famille. Brave gens, grands travailleurs,
aimant la terre et sachant la soigner, un peu fiers peut-être pour leur
condition, tels étaient les aïeux dont je viens. J'ai hérité de leurs
goûts, mais non de leur vigueur. Moi aussi j'aurais aimé travailler
la terre, et même à présent je ne m'y ennuierais pas du tout si mes
forces me le permettaient. Elles ne me l'ont jamais permis…..
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L'Institut Catholique - Paris |
Programme
de l'enseignement biblique, publié dans le numéro de janvier-février
1892 de la revue " L'enseignement biblique " (Revue bimestrielle
fondée par Alfred Loisy)
Personne
assurément ne s'étonnera de nous voir appliquer la méthode
historique et critique à la science scripturaire. Ce n'est pas
que nous perdions de vue le caractère surnaturel des livres saints,
ni les principes dogmatiques qui sont la règle infaillible de l'exégèse
; nous ne faisons que nous conformer aux nécessités du temps
présent. " Il est une chose qu'un théologien ne saurait
être, écrit M. Renan, je veux dire historien. L'histoire
est essentiellement désintéressée. L'historien n'a
qu'un souci, l'art et la vérité
Le théologien
a un intérêt, c'est son dogme. Réduisez ce dogme autant
que vous voudrez, il est encore pour l'artiste et le critique d'un poids
insupportable. Le théologien orthodoxe peut être comparé
à un oiseau en cage : tout mouvement propre lui est interdit. Le
théologien libéral est un oiseau à qui on a coupé
quelques plumes de l'aile. Vous le croyez maître de lui-même
et il l'est en effet jusqu'au moment où il s'agit de prendre son
vol. Alors vous voyez qu'il n'est pas complètement le fils de l'air
"
Ce passage de la préface à la Vie de Jésus contient
beaucoup d'erreurs ; mais ce sont des erreurs très répandues
et qu'on ne réfutera pas efficacement avec des syllogismes. On
nous pose en effet qu'un théologien ne peut pas être historien,
dans le sens complet du mot, lorsqu'il s'agit de l'histoire biblique.
C'est à nous, théologiens, de prouver le contraire par le
fait, en montrant que nous sommes capables autant que d'autres de faire
la critique, de la critique sincère, et même, en un sens
très vrai, de la critique libre, parce que sur le terrain de l'histoire
biblique, comme en tout autre sujet, la foi dirige, sans le gêner,
les investigations de la science, et que les conclusions certaines de
la critique ne peuvent pas être en opposition avec les données
de la foi.
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Lettre
de Loisy au Père Savi, communauté des Barnabites de Rome
(Recueillie par Elisabeth Scheele).
Ambrières,
le 29 juillet 1892
. "Mes
Mythes chaldéens* vous ont un peu effrayé, je le sais bien.
Il y a dans ma brochure une opinion que je crois certaine
et une hypothèse. L'opinion consiste à dire que les premiers
chapitres de la Genèse n'ont pas précisément le caractère
d'un document historique, la valeur principale des récits consistant
dans l'idée qu'ils servent à mettre en relief. On n'a pas
besoin de l'assyriologie pour démontrer cela. Dés lors il
importe peu que les éléments narratifs aient été
inventés par les auteurs bibliques (hypothèse invraisemblable)
ou qu'ils aient été puisés dans une tradition soit
spécialement juive, soit sémitique. Il y a chance pour que
certains de ces éléments (non l'idée qu'ils font
valoir) proviennent de l'ancienne tradition sémitique, ou pour
parler plus exactement, ses légendes chaldéennes : voilà
l'hypothèse."
*Voir
dans la bibliographie la notice n°7
En
octobre 1892, le Supérieur de Saint Sulpice, interdit à
ses étudiants d'assister au cours d'Ecriture Sainte de Loisy à
l'Institut catholique de Paris parce qu'il contestait le caractère
historique des premiers chapitres de la Genèse.
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La retraite à Ceffonds |
Alfred
Loisy s'installe à Ceffonds vers la fin avril 1907. Voici ce
qu'il écrivait à Albert Houtin quelques jours auparavant :
"
Je vais être propriétaire d'une maison sise à Ceffonds,
prés Montier-en-Der, Haute Marne. Ceffonds est comme un faubourg
de Montier-en-Der, dont il n'est séparé que par le chemin
de fer. Je suis à deux pas de la gare et à sept ou huit minutes
de ma sur. Ma maison est élevée sur cave et sous-sols,
donc très saine ; il y a un petit parc avec des arbres, une basse-cour,
un potager. "
La soutane que
portait encore M. Loisy lorsqu'il vint habiter Ceffonds lui créait
des devoirs de politesse envers la hiérarchie ecclésiastique.
Mais, comme il se sentait sur le point de quitter l'Eglise, il crut inutile
de se mettre en rapport avec ceux qui la représentaient dans le pays
qu'il allait désormais habiter. Il n'informa donc pas de son arrivée
l'évêque de Langres, Mgr Herscher, prélat tolérant,
qui ne demanda qu'à ignorer ce prêtre en situation peu canonique.
Il ne fit pas de visite aux curés de Ceffonds et Montier-en-Der et
comme il se croyait tenu, à raison de son costume, d'assister à
la messe le dimanche, il n'accomplit pas cette observance à Ceffonds,
où l'on ne célèbre qu'une grand-messe ; il se rendait
à Montier-en-Der à une messe basse, qu'il entendait mêlé
à de rares fidèles.
Il ne sortait
qu'avec l'habit ecclésiastique. Chez lui, il était ordinairement
en civil. Les villageois le prirent pour un curé retiré du
métier, et comme le métier leur semblait désagréable
et mauvais, ils ne pouvaient que l'approuver.
Il conserva
sa vieille manière de vivre : le matin, rédaction de ses livres
et préparation de ses publications ; après déjeuner,
longue promenade sur la grand'route ; le soir, lecture de livres nouveaux
et rédaction de comptes-rendus. Il se couchait toujours à
8h ½ .
Extrait de
" Alfred Loisy, sa vie - son uvre " Albert Houtin, Félix
Sartiaux, publié par Emile Poulat, Paris, 1960, p. 140,141 |
Les
parents de Colette Bonnot
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Colette
Bonnot, toute petite fille, a connu Alfred Loisy. |
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Mme Hemonet, Colette (née Bonnot)
16 rue Jurue
54800 JARNY
Bien cher Monsieur le Maire,*
Je me permets de vous adresser de nouveau ce petit message, quand
j'ai appris qu'à Ambrières il y avait une rue qui désormais s'appelait
rue [place] Alfred Loisy, ce qui nous a beaucoup touché,
ma sœur et moi, ayant quitté Ceffonds, mais nous sommes restées
Ceffondaises et tout dernièrement nous avons appris qu'une de ses
photos était affichée au mur de sa maison (côté Montier-en-Der).
Comme on aurait bien voulu nous rendre à cette petite cérémonie,
car c'était notre jeunesse ma sœur a 91 ans et moi 86, comment nous
déplacer à notre âge ?
J'en possède une reproduction que l'on m'a offerte. Je sais très
bien que pour nous ça aurait été très dur, que de grosses larmes
nous auraient envahies.
J'étais un peu la petite chouchoute, étant la dernière. J'allais
les mercredis [je pense que c'était plutôt les jeudis à cette
époque] après-midi me promener avec Mr Loisy, lui toujours son
chapeau et sa canne, il me tenait toujours bien la main. Mr Loisy
ne tenait pas à rencontrer des gens lors de nos promenades, alors
on passait sur la route de Louze- de Jagée et Chancourt [ ?].
Je n'oublie pas et je n'oublierai jamais.
Je me souviens toujours quand j'allais le voir le soir- je n'oublierai
surtout pas, je sautais sur les fauteuils, le grand canapé- déchaussée
bien sûr. Je jouais avec les tirettes des doubles rideaux- aucune
remontrance. Cela m'était permis. Un soir, je me suis permis de
lui retirer ses lunettes et les mettre à son beau buste qui était
sur la cheminée de son grand salon. Il riait, il me faisait toujours
des petites cocottes en papier.
Le bureau qui m'a été offert par Mr Loisy -mon grand père pourrait-on
dire- se trouve toujours chez une de mes filles qui habite Nancy.
Elle a un grand appartement (mais il est à moi). Inutile de vous
dire qu'il est très bien entretenu et les quelques livres bien rangés.
J'ai une photo de Mr Loisy sur les escaliers de son perron qui allait
à son bureau, avec ma petite maman et mon petit papa (que de bons
souvenirs passés bien trop vite).
Mon plus cher désir serait de voir cette photo au mur de sa maison.
Les enfants ont leurs vies et leurs enfants. Que de belles fêtes
de Noël et de Pâques nous avions. Nous étions gâtées.
Je suis allée plusieurs fois sur sa tombe et fait la connaissance
de Mme Couvreux.
Monsieur, il y a une chose qui me tient à cœur et n'ose pas trop
vous le demander, vous serait-il permis de me dire en quelle année
Mr Loisy a été réhabilité ? (Si toutefois ça ne vous engage à rien-
je vous en supplie).
J'ai eu la grande douleur de perdre mon époux il y a 7 mois - c'est
très triste et très dur.
J'espère, Monsieur le Maire, que vous comprendrez ma petite lecture,
mais j'ai beaucoup de mal maintenant à écrire et me déplace en déambulateur.
Bien cher Monsieur, je vous adresse mes salutations les plus distinguées
et mon remerciement le plus profond.
Bien sincèrement,
Colette Bonnot
Née à Ceffonds - 21 mars 1931.
- - - - Mme Hemonet est décédée le 9 mai 2017 dans sa 86e année
* Denis Droin , maire d'Ambrieres
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Le Collège de France |
Le
professeur (M. Loisy) commença son cours, en décembre 1909,
avec une assistance de trois cent personnes ; il acheva l'année scolaire
avec une cinquantaine de fidèles. Cette réduction le détermina,
l'année suivante, à prendre une salle moins grande : celle
où enseigna Renan. Il n'eut plus guère qu'une trentaine d'auditeurs,
la plupart moins attirés par l'histoire du sacrifice que par le désir
de recueillir des à-côtés piquants, des allusions ou
de discrètes échappées sur le christianisme.
L'assiduité
n'était d'ailleurs pas sans mérite. Le maître ne s'efforçait
jamais de remédier à l'aridité du sujet. Il différait
probablement de Renan, qui usait de l'ancienne phrase française,
nuancée, enveloppante, parlait haut et lentement pour toute l'assistance.
M. Loisy avait le débit précipité, haché,
la voix frêle. Pour peu qu'on fût éloigné de
sa chaire, on le suivait difficilement. Il fallait du temps pour se faire
à sa prononciation de paysan champenois, qui dit les O comme des
A et laisse tomber des lettres essentielles. Bien qu'il eût soigneusement
préparé le fond de ses leçons pendant les vacances
et les eût longuement méditées, chacune semblait une
improvisation. Il discuter minutieusement des textes, et disséquait
des faits. Ses ironies ne pouvaient guère être goûtées
que par ceux qui en connaissaient les intentions malicieuses.
Extrait
de " Alfred Loisy, sa vie - son uvre " Albert Houtin,
Félix Sartiaux, publié par Emile Poulat, Paris, 1960, p.
173.
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Présentation
par Emile POULAT
Directeur d'études à l'École des
Hautes Études en Sciences sociales.
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ALFRED
LOISY (1857-1940)
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Aucune
rue à Paris, ni en France, ne porte le nom d'Alfred Loisy qui a pourtant
laissé dans l'histoire un nom inoubliable. Voici exactement un siècle,
il était le personnage central, à son corps défendant,
d'un choc dramatique entre la culture catholique traditionnelle et la nouvelle
culture laïque, issue des Lumières et de ses effets au sein
de l'Église catholique.
Ce choc de la culture héritée avec la culture moderne a trouvé
tout naturellement son nom : le modernisme, dont le pape a solennellement
condamné les "erreurs" par l'encyclique Pascendi, le 8
septembre 1907. Mais avant de dire "modernisme", on a commencé
par dire loisysme, et même, par une métathèse naturelle,
"loysisme".
De quoi s'agissait-il ? La Bible était l'ouvrage de référence
de toute culture chrétienne. Elle était à la fois -
et, semblait-il, inséparablement - parole de Dieu et représentation
du monde, la première garantissant la seconde.
Cette représentation du monde a été mise en cause par
ce qu'on a appelle les découvertes de la science et, corrélativement,
la formation d'un esprit nouveau dit scientifique, fondé sur l'observation
et l'expérimentation. Le premier coup de tonnerre dans un ciel serein
fut l'affaire Galilée, c'est-à-dire la nouvelle astronomie.
Le second sera l'apparition de la paléontologie, remettant en cause
l'ancienneté de l'homme et donc la date de la création du
monde. Le troisième sera Darwin et l'évolution des espèces,
par opposition au "fixisme" et au "créationnisme"
attribué à la Bible. |
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Presentation by Emile POULAT
Director of Studies at the École des
Hautes Études en Sciences sociales |
ALFRED
LOISY (1857-1940)
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Nowhere
in Paris or in the whole of France is there a street called after Alfred
Loisy who has, nonetheless, left a name not to be forgotten in history.
A century ago and against his will, he became the center of a dramatic clash
between traditional Catholic culture and the new seclar culture, resulting
from the Enlightenment and its effects within the Catholic church.
The cultural
clash that was inherited along with modern culture naturally became known
as Modernism, whose "errors" the pope solemnly condemned in
the encyclical Pascendi, promulgated on September 8, 1907. But before
saying "Modernism," said "Loisysme", and even, by
a natural metathesis, "loysisme".
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